Notre histoire / Our Story
L’histoire de l’atelier est celle d’une reconversion, ou plutôt d’une transformation. Anciennement chercheur et professeur de philosophie à l’université, j’ai décidé un jour de tourner mon attention et mon esprit vers quelque chose que j’avais comme oublié : mes mains et leur puissance de transformation de la matière. Entre le bois et l’acier naquit un premier objet - un couteau - et une recherche à la fois pratique et théorique sur ce que peut l’esprit et le corps quand ils travaillent à l’unisson.
L’Ame Atelier est né
“De même que les hommes, au début, avec des instruments naturels, ont pu faire certaines choses très faciles, bien qu’avec peine et de manière imparfaite, puis, une fois celles-ci façonnées, en ont façonné d’autres plus difficiles avec moins de peine de manière plus parfaite, et ainsi, progressant par degrés des ouvrages les plus simples aux instruments, et des instruments à d’autres ouvrages et instruments, sont parvenus à parachever tant d choses et de si difficile avec peu de peine; de même aussi l’entendement, par sa propre puissance, se forme des instruments intellectuels au moyen desquels il acquiert d’autres forces pour d’autres ouvrages intellectuels, et de ces ouvrages tire d’autres instruments, c’est-à-dire le pouvoir de pousser plus loin sa recherche, et ainsi progresse par degrés jusqu’à ce qu’il atteigne le faîte de sa sagesse.”
Spinoza, Traité de la Reforme de l’Entendement (§47-48).
Derrière L’Ame Atelier” se trouvent les mains et l’esprit de Juan Ledesma. Avant de décider de me lancer dans cette aventure qu'est l'artisanat, j'étais philosophe de profession et de formation.
Or, même si l'on ne cesse jamais d'être philosophe, le désir d'exercer le métier académique et universitaire s'est petit à petit estompé en moi. À sa place, un désir de vivre ma pensée autrement, de la mettre en pratique d'une autre manière s'est fait de plus en plus présent, insistant. C'est ainsi que par tâtonnement, par érrance même, j'en suis venu un jour à me dire qu'il fallait que je fasse, que je fabrique et que je forge des couteaux de cuisine. J'ai pris dès lors contact avec deux forgerons-couteliers, qui m'ont accueilli les bras ouverts dans leur atelier et, surtout, qui m'ont guidé dans la fabrication de mes premiers couteaux.
Presque deux ans après ce jour, pendant lesquels je n'ai cessé de lire, d'apprendre, de m'investir dans le monde de l'acier et de me former sur les différents aspects de cette activité si particulière, je décide de me lancer à mon tour et d'ouvrir mon propre atelier de coutellerie.
------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
Derrière le projet de l'Atelier se trouve une idée, et au fond un désir. C’est l'idée de conjuguer le travail de l'esprit avec les mouvements du corps, et le désir de connaître le monde et la matière non seulement de manière intellectuelle, mais de l'éprouver de manière pratique, à bras le corps. Au fond, il s'agit pour moi de prolonger mon activité philosophique, de la transformer en la déplaçant de la salle de cours ou de la bibliothèque où elle était confinée vers l'Atelier afin de mieux comprendre et le monde et moi-même à travers la fabrication d’objets qui puissent être à la fois utiles et beaux. L'idée de l'Atelier est donc d'abord l'idée d'un lieu, voire d'un espace d'apprentissage et de connaissance, voire même de renaissance.
Or, pourquoi avoir choisi le couteau parmi tant d'autres objets ? D'abord parce que le couteau, tel que je le connais et l'utilise, c'est-à-dire en tant que couteau de cuisine, exprime ou enveloppe une activité que je suis venu à aimer d'autant plus fortément que le temps passe: la cuisine. On ne peut aimer cuisiner sans apprécier en même temps l'utilité et la beauté d'un bon couteau. Mais si j'ai choisi cet objet que je suis venu à aimer, c'est aussi parce que le couteau et la cuisine représentent beaucoup plus qu'une affaire d'utilité et d'esthétique. Ils sont des véritables vecteurs de civilisation et de culture, de raffinement et de connaissance. Le couteau enveloppe l'histoire du rapport immémorial que l'être humain entretient avec l'outil, avec la première pièrre aiguisée ou silex taillé, mais aussi l'histoire du rapport fondamental que toute culture humaine entretient avec le métal, que ce soit le bronze, le fer ou l'acier. Apprendre à fabriquer des couteaux, et même à les forger, c'est pour moi l'opportunité unique de comprendre autrement cette histoire qui est l'histoire même de la civilisation humaine dans sa conquête technique de son milieu.
Mais derrière l'idée de l'Atelier il y a aussi, essentiellement, le désir de produire des objet utiles, c'est-à-dire des objets qui possèdent une fonction sociale. Le couteau est l'outil par excellence du cuisinier, qu'il soit professionnel ou amateur. J'ai donc l'intention de fabriquer non seulement une gamme complète de couteaux de cuisine afin de combler les besoin des cuisiniers professionnels ou amateurs, mais aussi de restaurer, c'est-à-dire donner une nouvelle vie aux outils oubliés et parfois jettés que l'on trouve partout. Dans un monde déjà rempli d'objets et d'outils, et qui ne cesse, frenetiquement, de se remplir, il est important d'apprendre à reutiliser, à réadapter et parfois à transformer la matière déjà existante avant de produire aveuglement des nouveaux objets. L'atelier sera donc aussi un lieu de restauration des lames, de récuperation de matière et de transformation de ce qui existe déjà afin de redonner l'âme, c'est-à-dire l'usage, à des objets oubliés.